#5📦Le trottoir, une ressource commune inestimable et sous exploitée
Curb management,l'utilisation des données au service des usagers
Autour d’une bonne tasse:
Vous et moi, moi et vous
La data c’est mon dada. Tellement que je peux regarder des cartes interactives pendant des heures en me posant beaucoup plus de questions que je n’ai de réponses. Je pense que je ne suis pas le seul à me perdre dans toutes les données que nous offrent aujourd’hui tous les opérateurs publics comme privés. Aujourd’hui je voulais parler d’un usage qui se développe de plus en plus en France. Un nouveau métier qui pourrait bien révolutionner nos modes de gestion de l’espace public et la qualité de vie dans les villes, le Curb Manager.
Pause imaginative:
Prendre le temps d’imaginer les avenirs possible pour mieux appréhender les choix d’aujourd’hui…
Lila pose le pied à terre un sourire aux lèvres, malgré les travaux en ville elle a mis 20 minutes en vélo et est arrivée quelques secondes avant son café. Le petit robot autonome monté sur roues s’approche doucement et délivre la boisson bien chaude à sa cliente avant de repartir avec une allure plus soutenue en zigzagant à travers les passants.
Lila entre dans son bureau à la Communauté urbaine en buvant une grande gorgée. Son métier c’est Curb Manager, elle traduit généralement ça par Gestionnaire des trottoirs, elle se voit plutôt comme une cheffe d’orchestre ou une contrôleuse aérienne. Son travail c’est d’optimiser au mieux les usages sur les trottoirs et stationnements sur l’espace public, en termes de flux, de logistique urbaine mais aussi et depuis peu sur les questions environnementales et d’inclusion.
Son recrutement a eu lieu il y a deux ans, lorsque la collectivité a développé une multitude de nouveaux services de mobilité privé (trottinettes et vélos en free-floating, autopartage et lignes de covoiturage) sur l’espace public et que la crise du Covid-19 a rebattu les cartes de l’appropriation du trottoirs (longues fils d’attentes, hausse de la livraison à domicile et terrasses étendues). La hausse des conflits d’usages et la prise de conscience des habitants, principalement en centre-ville, du potentiel offert par l’appropriation de l’espace public ont fini de convaincre les élus.
Lila est embauchée avec pour objectif d’optimiser la gestion de la logistique et des déplacements dans les centres-urbains du territoire. En partant de ce que faisait déjà la collectivité via son PC central sur la gestion des feux, des voies dynamiques et de la zone à faible émission, elle a mutualisé cet outil pour y intégrer les transports en commun, le stationnement et la gestion des ordures ménagères. Ce travail inter-service a été une première étape pour créer un discours commun et permettre une intégration par la suite des services privés.
Après deux ans de travail, de numérisation de l’information et la mutualisation des interfaces, Lila dispose d’un outil unique pour visualiser et contrôler les différents services. La gestion du stationnement courte durée et la réservation des places pour les livraisons sur certaines tranches horaires a permis de limiter les interactions négatives liées au stationnement sauvage. Via un outil unique, Lila visualise l’ensemble des espaces publics et est capable d’intervenir en direct pour prévenir les utilisateurs, habitants comme professionnels, des changements de dernières minutes. C’est comme cela qu’elle est arrivée ce matin peu avant son café malgré les travaux et l’accident qui a eu lieu sur son itinéraire habituel. L’application l’a alertée et lui à proposé un itinéraire alternatif, complété par le système de signalisation cycliste dynamique qui a dérouté les personnes vers d’autres chintes. Les itinéraires des services de livraisons ont eux aussi été détournés pour faciliter les travaux et limiter la gêne. Ces changements ont permis à sa ville d’être un territoire test de la logistique autonome, “celle des robots qui apporte le café” aime à plaisanter Lila. Ces services de livraison en moins de 10 minutes sont pour elles des vitrines plus que des objectifs. Elle travaille aujourd’hui sur l’extension de son management à d’autres sujets. L’optimisation des durées de stationnements et des flux de transport en commun ont notamment rendu inutile une partie du stationnement en centre-ville, permettant de réfléchir à une végétalisation d’une partie de la ville. L’engouement citoyen a été tel que les élus ont voté à l’unanimité la requalification de la rivière jusque-là enterrée, en un espace public à ciel ouvert. A l’avenir c’est vers l’inclusivité du trottoir pour tous que Lila souhaite travailler.
📚Articles qui m’ont inspiré :
Pour mieux comprendre ce qu’est le Curb Management, deux vidéos en anglais :
The Shared-Use City: Managing the Curb
10th Street Before and After Curb Management
L’expérience de Dijon Communauté et sa publicité narrative !
#OnDijon : première étape vers une métropole intelligente
Le déploiement des droïds, ces robots autonomes de livraisons :
Ici le modèle de l’entreprise Starship, la licorne Estionienne de la livraison autonome :
Source : Medium.com
L’énorme travail réalisé sur la rue de demain par la direction de la prospective et du dialogue public dans le cadre de Millénaire3 (Grand Lyon).
Du grain à moudre :
Quelques faits et questions liés de près ou de loin au sujet
Derrière la notion de Curb Management se cachent différentes gestions :
Celle du temps de la ville : Comment rendre son espace public modulable à l’échelle de la journée quand on sait que le mode de déplacement le plus utilisé, la voiture, reste en stationnement 95% du temps, à l’échelle de la semaine avec le phénomène des voitures ventouse ou à l’échelle des saisons.
Celle des nouveaux usages de consommation : Les rues et espaces de stationnement ont été dimensionnés et positionnés à une époque ou la livraison était à destination des commerces, loin des enjeux de la livraison à domicile et en point-relais du e-commerce. Une étude du World Economic Forum anticipe jusqu’à 21% de congestion supplémentaire dans les 10 plus grandes villes du monde d’ici 2030 si aucune politique d’optimisation n’est opérée. Ces chiffres, bien que difficilement vérifiables, ne font qu'imaginer un enjeu déjà bien présent dans la tête des agglomérations de grande taille.
Celle de l’inclusion : Mise en avant par la question des handicaps moteurs (fauteuil roulant, mal-voyant mal-entendant), cette notion c’est ouverte et intègre aujourd’hui les débats des mobiliers anti-sdf, des rues aux enfants ou encore les inégalités homme-femme. La newsletter de Dixit revient sur cette dernière avec des faits marquants :plus de femmes blessées dans les transports en commun, tuées à vélos…
Celle du changement climatique et de la sauvegarde de la biodiversité : Les espaces publics sont au cœur des problématiques d’îlots de chaleur urbain, de zones d’ombres et de discontinuités écologiques. Lancée parallèlement par les habitants (nichoirs, rue jardin, verdissement des façades) et les collectivités ( fauchage raisonné, zéro-phyto et écoquartiers), c’’est notamment par l’optimisation des usages (gain de place) et la priorisation des enjeux environnementaux sur les espaces publics que les villes pourront atteindre la résilience tant recherchée face au réchauffement climatique.
Celle des déplacements : Après 50 ans d’aménagements en faveur d’un mode unique, la voiture, les villes retournent vers une diversité des modes de déplacements (modes doux, actifs, électriques, partagés). Ces anciens et nouveaux modes de déplacements cherchent leur place dans un environnement en mutation. La diminution de l’usage dans la voiture, notamment dans les centres-ville denses, va être source d’opportunités pour rééquilibrer les activités sur les routes et les trottoirs.
Le Curb Management, bien que nécessaire doit aussi être questionné :
Une surveillance toujours plus importante: le curb management se propage dans une vision techno-centrée de la pratique. C’est par l’agrégation des données numériques de chaque acteur que l’on trouve les leviers de changement. Cette méthode nécessite la mise en place de capteurs en tout genre et notamment la mise en place des systèmes de reconnaissances de plaque d’immatriculation, de reconnaissance du modèle de véhicule, voire du nombre de personnes présentes dans le véhicule. On peut aussi citer le suivi par GPS dans le cadre des services privés de location en libre services. SI la RGPD encadre l’usage et la détention de données, il semble bon de questionner l’acquisition de données personnelles par rapport aux bénéfices escomptés pour la société.
Quelle place pour la spontanéité : L'espace public est un lieu d’expression et de détournement exceptionnel. Toute personne qui a un jour développé un projet sur un espace public sait que la multitude des usages qui seront fait de l’aménagement ne peut être prévue. Par exemple, les vélos en libre service ont rapidement été utilisés pour un usage professionnel par les livreurs à vélo. Ces mêmes vélos, encore attachés, sont régulièrement utilisés pour s'asseoir et parler entre amis, comme un simple banc… Au-delà de ces détournement il me semble important de rappeler que l’espace public est un lieu essentiel pour bon nombre de revendications et changements sociétaux. Y voir un simple espace de logistique froid et ordonné, est à mon sens une erreur à une époque où le réenchantement du quotidien est nécessaire. Pour l’illustrer je vous mets ci-dessous une photo prise l’été dernier à Bordeaux, de l’appropriation poétique de la rue par une association qui donne la parole aux habitants.
Pour les consommateurs d’allongés
Les trouvailles de la semaine
🚲 Le vélo comme mode de livraison le plus pratique jusqu’à 200 kg ? Merci Lery Jicquel pour ce partage d’infographie.
🌋 Un volcan tout sourire, une belle paréidolie = processus survenant sous l'effet de stimuli visuels ou auditifs, portant à trouver une forme familière dans un paysage, un nuage, de la fumée, une tache d'encre, etc
🚴 Quand la voiture laisse la place, une belle histoire d’humanité. Partagé par Benjamin Louis